L'Echo des sept routes : Tentative d'épuisement d'un coin de bocage. Introduction

Publié le 13 Avril 2016

L'Echo des sept routes : Tentative d'épuisement d'un coin de bocage. Introduction

   Le quadrillage végétal où évolue ma famille depuis des générations fait partie intégrante de ma personne. Ma perception de l’espace est indexée sur l’organisation du bocage. En tout lieu, mes neurones recherchent le vert d'une prairie, la silhouette des arbres ou l'ombre d'une haie. 

   Il est en ce monde de vastes espaces sans prairies verdoyantes, sans talus coiffés de noisetiers et d’aubépines, sans chemins creux ombragés, sans chênes centenaires, sans troupeaux de paisibles vaches laitières. Je connais l’existence de telles contrées. Il m’arrive même de m’y aventurer, et d’en apprécier les beautés, mais je n'entreprends de tels périples qu’avec la promesse de trouver au retour les douceurs du bocage.

L'Echo des sept routes : Tentative d'épuisement d'un coin de bocage. Introduction

   Il coule dans mes veines un peu de la sève de ces prairies et de ces arbres. Je connais les lièvres par leur nom, et je revendique fièrement le titre de blaireau, blason populaire de mon village natal.

   Les dernières décennies ont hélas vu la destruction massive des haies et des talus aboutissant à la disparition inexorable de ce chef d'oeuvre qu'est le bocage. Pendant des siècles, nos ancêtres ont défriché la forêt, levé des talus, planté des arbustes, taillé les haies, et entretenu cette merveille. Et les pelles mécaniques détruisent en quelques heures cette dentelle verdoyante patiemment tissée. Une frénésie destructrice a fait disparaître en quelques années le fruit du labeur de dizaines de générations de paysans.

   Chaque arbuste arraché emporte avec lui une miette de mon être. Chaque talus arasé laisse dans le paysage une douloureuse cicatrice...

   Le bocage ne sera-t-il bientôt plus qu’un souvenir ? Se peut il que ce monde soit un jour définitivement dissous ? 

 La question se pose chaque jour...

 

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 Un espoir...

 

Un jour de l’an 2000, le hasard me confia une portion de ce bocage tant aimé. Une portion intacte, n'ayant pas subi les ravages de l’agriculture moderne.

  Je détenais une part de ce trésor commun.

  Dès lors m’incombait la protection de ce patrimoine millénaire. 

  De ce tableau idyllique, naissait l’espoir de différer un temps l’anéantissement de mon écosystème personnel. Et celui de le léguer à la postérité. 

  Lourde responsabilité. Exaltante perspective

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... vite refroidi.

   Passée la première euphorie, cette impression d'harmonie ne tarda pas à se ternir. L'évolution de l'agriculture intensive qui semblait avoir miraculeusement épargné les environs de ce petit domaine ne tarda pas à faire sentir ses effets dévastateurs. Chaque année le rugissement des pelles mécaniques se fait entendre, accompagnant la disparition de kilomètres de haies, talus, de chemins.

   Ces destructions s’opèrent en quelques heures. Nombre d'arbres de haute futaie dispartaissent de notre champ de vision. Chênes, frênes, hêtres ne sont plus que silhouettes absentes que l’œil recherche des années après leur disparition. La chute de ces géants n'est que le signe le plus visible de la destruction en cours : aubépines, noisetiers, pruneliers, érables champêtres ont été eux aussi été arrachés sans pitié. Manquent aussi à l'appel les pieds de fusain, de houx ou de néfliers. Les haies vives n’offrent plus au regard leur harmonieux fouillis de branchages enchevêtrés. Quelques heures de fracas rugissant et insectes, oiseaux, lièvres et hérissons perdent à jamais le refuge à l’abri duquel ils prospéraient. Les chemins creux, havres de fraicheur ombragée, se voient comblés des souches résultant de la destruction des talus. 

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   Le paysage s’en trouve définitivement altéré, d'autant que la dernière tendance consiste à retailler littéralement les ondulations du relief afin d’obtenir de plates et sinistres étendues propices à l'agriculture intensive et aux évolutions des engins agricoles modernes.

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Le mal est irrémédiable. Qui aura un jour le courage de relever ces centaines de kilomètres de talus ? Qui trouvera l'énergie nécessaire à la restauration de ce chef d’œuvre paysager ?

On peut facilement reconstituer une haie vive. Il suffit de laisser libre cours à la pousse naturelle des végétaux, de combler les espaces vides en plantant quelques arbustes ça et là. Plusieurs années s’écoulent avant que cette humble intervention ne fasse apparaitre une nouvelle haie. Mais la joie ressentie devant le résultat s'estompe bien vite quand on réalise que durant le temps nécessaire à ce renouveau, d'autres, sans effort, en détruisent mille fois plus. Que pèse cette insignifiante action face à cette folie destructrice ?

Chaque année, chaque mois, chaque jour presque, s'aggrave la sensation d'être le dernier à préserver ce patrimoine. Depuis quinze ans, je m’attache à préserver ces cinq petits hectares de prairies. Une partie de mon temps et de mon énergie passe à entretenir cet îlot de résistance.

Cela ne sera-t-il qu’un dérisoire combat d’arrière garde ?

Osons espérer que non !

Naissance d'un projet.

 

    La tentation est grande de se barricader derrière ces rideaux d’épineux, de se recroqueviller dans son petit domaine. Mais, isolée, cette résistance ne pourra être que vaine. Ce patrimoine commun, fruit de l'action collective de générations de paysans, ne prospèrera que s’il est partagé. D'où la nécessité le porter à la connaissance du plus grand nombre. 

Ainsi nait le projet « Tentative d’épuisement d’un coin de bocage ».

     Comme Georges Pérec avait tenté de le faire avec la Place Saint Sulpice dans sa célèbre « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien », je me propose tout au fil de cette rubrique, de décrire ces cinq hectares de bocage de la manière la plus complète possible.

    Le seul objectif de ce petit défi est de faire connaître les humbles merveilles de ce milieu menacé, afin qui sait de pouvoir le sauver.

    Vous êtes donc invités à suivre régulièrement cette nouvelle rubrique, feuilleton rural sans intrigue ni suspense, autre que cette passionante question : Peut on venir à bout de cinq hectares de bocage ?

Rédigé par Philippe LEBOUCHER

Publié dans #Tentative d'épuisement d'un coin de bocage., #Bocage, #Vie rurale, #Environnement

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