A propos de la chronique "La vie numérique" de Xavier DELAPORTE du 26 Janvier 2017

Publié le 26 Janvier 2017

A propos de la chronique "La vie numérique" de Xavier DELAPORTE du 26 Janvier 2017

Cher Xavier Delaporte,

Je suis un fidèle auditeur de votre rubrique « La vie numérique » dont vous nous faites profiter chaque matin sur les ondes de France Culture aux environs de 8h40. Chaque matin, dès que j’entends votre voix, je suspends toutes mes activités, je tends l’oreille pour découvrir le point de vue si pertinent que vous portez sur notre monde moderne et ses plus récentes évolutions. Chaque matin, j’ai la très nette impression, après ces quelques minutes, d’être un peu moins bête et j’essaie de mettre à profit vos réflexions pour tenter moi même d’analyser le monde qui nous entoure…

Mais ce matin, Jeudi 26 Janvier 2017, je dois bien avouer que je suis déçu… Vous semblez porter aux nues la théorie d’un certain Yshan Wong selon laquelle, nous n’aurions jamais reçu de visite des hommes du futur parce que nous serions tout simplement des ringards aux technologies obsolètes totalement inintéressants et bons à jeter aux poubelles de l’histoire !

Je suis un peu froissé par votre chronique.

En premier lieu car je me sens visé par votre vision de la campagne. Il se trouve que je vous écris ce mot d’une de ces contrées reculées, que vous semblez redouter au plus haut point : un pays où l’on ne dispose pas de la fibre optique ! Plus encore : je ne peux même pas me connecter à l’ADSL ! Je suis donc obligé pour vous faire parvenir ce petit billet d’humeur d’utiliser une connexion satellite dont la lenteur vous ferait pâlir d’effroi. Pourtant, malgré ce handicap, vous pouvez constater qu’il m’arrive de communiquer avec l’extérieur et même de recevoir de la visite. Or si j’en crois votre chronique de ce matin, l’endroit où je vis, où grandissent mes enfants, où j’ai tous mes amis, ne présente de ce fait, aucun intérêt. Selon vous, donc, seuls les personnes dotées de la fibre optique sont dignes de recevoir la visite d’un être humain moderne digne de ce nom, un humain numérique, connecté, incapable de survivre sans le haut débit… Je ne suis pas d’un naturel susceptible, mais figurez vous que ce matin, le rural indécrottable que je suis a ressenti une petite amertume à l’idée que son chroniqueur préféré considérait son pays natal comme dénué d’intérêt.

Je serais ravi de vous recevoir dans ma maison, nichée au creux du verdoyant bocage pour vous prouver le contraire.

Passé cette petite irritation personnelle, j’en viens au fond du sujet, à savoir les propos d’Yshan Wong. Si l’on en croit sa théorie, la seule échelle de valeurs que nos lointains descendants appliqueront à une civilisation sera basée sur le degré de perfectionnement technologique dont elle fait preuve ! Imaginons donc que nous mêmes, humains du XXIè siècle disposions de la technologie du voyage dans le temps et que nous appliquions son raisonnement. Cela donnerait des réflexions du type :

« Les magdaléniens de Lascaux étaient ne maitrisaient pas le DAO: oh les gros relous ! Je ne vais pas perdre mon temps à aller voir leur graffitis pourraves de bisons planqués au fond de grottes humides.

Les égyptiens n’avaient pas d’imprimantes 3D: Vraiment ? Les gros nazes ! Allez rasez moi leurs ridicules tas de caillasses et effacez moi ces grotesques représentations : face ou profil ? On sait plus ! Non mais vraiment j’vous jure ! Pff !

Les Vikings ont exploré tout l’Atlantique Nord et les Polynésiens tout le Pacifique, et ils n’avaient même pas de GPS : Oh les gros ringards ! Non mais on ne va tout de même pas aller discuter avec des ploucs pareils !

Les Inuits ont été capables de mettre au point des harpons à pointe amovible et des kayaks en peau de phoque sans utiliser le moindre morceau de métal avec les seules ressources que leur offrait l’arctique extrême ! Bah, vraiment ! Les pitoyables arriérés !

Les grecs anciens ont été capables de bâtir le Parthénon en y appliquant sept corrections pour donner l’illusion de la perfection. Bah ouais mais il étaient nuls en téléphonie mobile : inintéressants ces mecs…On zappe ! »

Je pourrais multiplier les exemples à l’envi.

La vision que nous offre Yshan Wong est désespérante : celle d’une humanité totalement axée sur la technologie, incapable de juger de la beauté des civilisations qui l’ont précédée et surtout dénuée de toute curiosité.

C’est la curiosité qui a permis à deux gamins accompagnés de leur chien Robot (Sic) de découvrir la grotte Lascaux un matin de Septembre 1942. C’est la curiosité qui a lancé les explorateurs sur les mers périlleuses. C’est la curiosité qui anime un Galilée, un Darwin, un Einstein et combien d’autres. C’est certainement aussi la curiosité qui motivera Alan Turing, que vous admirez certainement, à juste titre et dont les travaux nous permettent, à moi de répondre quasiment en temps réel à votre bulletin quotidien, à vous de donner libre cours à votre sagacité sur les conséquences de ses recherches…

Rien ne m’intéresserait plus que de savoir comment les grecs et les égyptiens ont réussi à bâtir leurs somptueux monuments sans nos technologies, justement ! Rien ne m’intéresserait plus que de connaître les techniques de navigation des Vikings et des Polynésiens, si rudimentaires, si efficaces, et, à ce jour, restées inconnues. Rien ne m’intéresserait plus que de savoir comment vivaient les artistes de Lascaux et ce qui les inspirait… Rien ne m’intéresserait plus que de savoir dans quel monde Homère a composé l’Odyssée… Rien ne m’intéresserait plus que de visiter en catimini le chantier des Pyramides, d’Angkor Vat, de l’Abbaye du Mont Saint Michel ou de Château Gaillard… Et je ne suis pas le seul à éprouver cette curiosité : Historiens, archéologues, philosophes, artistes, anthropologues, architectes, des milliers de gens voudraient apprendre de nos ancêtres.

J’ose espérer que les humains du futur aussi se poseront ce genre de questions : Mais comment ont ils donc fait au 20è siècle pour aller sur la lune avec des vaisseaux spatiaux aussi archaïques ? Mais bon sang comment ont ils fait pour construire des bâtiments aussi hauts avec leurs moyens de levage ridicules ? Quels sont ces génies qui ont écrit tous ces fantastiques romans : La Peste, Cent ans de solitude, La cloche d’Islande, La Faim, Le Procès, etc… Qui sont ces types qui prétendent être des pierres qui roulent et jouent cette drôle de musique devant des milliers de gens? Sont ce des chamans ? Est ce une cérémonie religieuse ? Et à quoi servaient ces petites plaquettes noires où l’on peut voir une pomme à demi-croquée ? Amulettes, objets rituels ! Espérons que notre civilisation suscitera autant d’interrogations que celles qui nous ont précédées…

Si au contraire, l’explication d’Yshan Wong est vraie, cela voudra dire que l’humanité future ne sera plus tournée que vers la technologie pure, insensible à la beauté des réalisations de ses ancêtres, dénuée de la moindre curiosité envers ce qui ne lui ressemble pas…

Si tel est vraiment le cas, il me paraitrait préférable alors, qu’ils ne nous visitent jamais ! Qu’ils restent dans leur monde technologique aseptisé dénué de toute poésie : je pense que nous n'aurions pas grand chose à leur dire, ni vous ni moi…

Cordialement.

Philippe LEBOUCHER

PS : Ne percevez dans ce petit mouvement d’humeur aucune animosité malveillante. Il s’agit simplement de vous faire part des réactions à votre billet de ce matin et qui peut être alimenterons vos propres réflexions. Je continue à attendre les prochaines avec impatience. 

 

Rédigé par Philippe LEBOUCHER

Publié dans #Rubrique éclectique, #Société, #Sciences

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