l'Echo des sept routes N°27. Des risques de l'initiation aux pratiques artistiques.

Publié le 16 Mai 2015

Encourager les penchants artistiques des enfants est une manière de les voir s’épanouir et constitue une source indéniable de satisfactions pour les parents ! Quoi de plus attendrissant que d’entendre la maison résonner d’harmonieuses notes de piano jouées par sa propre fille ou que de pouvoir décorer son logis avec des dessins et autres œuvres produites par ses propres enfants. Voir ses enfants plongés dans la rédaction de poèmes ou de textes de toutes formes me remplit de bonheur. Mes cadeaux de Noel et de la fête des pères sont souvent de véritables œuvres d’art auquel je tiens beaucoup ! En un mot comme en cent, je me réjouis quotidiennement de la créativité dont font preuve mes rejetons. Mais la pratique artistique si elle embellit notre quotidien, n’en revêt pas quelques inconvénients. Stimuler la créativité de ces enfants a pour conséquence que la maison grouille d'artistes et que chez ces gens là, production d’œuvres peut prendre la forme d’une pulsion incontrôlable ! S’ensuit la floraison spontanée d’œuvres d’art en des endroits et sous des formes auxquelles on ne s’attendrait guère.

En ce jour de Mai 2015 je m’engage sur l’allée dallée qui mène au jardin quand retentit une exclamation indignée de Charlotte, ma fille aînée : « Attention ! Tu marches dessus ! » « Dessus quoi ? » Ben mon dessin !" Je baisse les yeux et découvre effectivement que l’allée qui mène au jardin est désormais ornée du délicat portrait d'une figure féminine presque grandeur nature dessinée au charbon de bois sur les dalles de granit poli. La composition évoque une apparition féérique comme les légendes en en recèlent tant. L'espace d'un instant me saisit l'impression que les esprits tutélaires de Loritel ont pris forme sous mes pas. Elfe ou Fée, on ne saurait dire mais je dois avouer que la composition de l'ensemble est du plus bel effet. L'artiste a su tirer profit de la singularité du support et créer un effet singulier d'apparition surnaturelle. Les différentes parties du personnage sont réparties sur plusieurs dalles et on la  devine comme au travers d'une claire voie végétale…Bravo !

Figure féminine. Mai 2015. Charbon de bois sur granit poli. (Collection particulière)
Figure féminine. Mai 2015. Charbon de bois sur granit poli. (Collection particulière)
Figure féminine. Mai 2015. Charbon de bois sur granit poli. (Collection particulière)

Figure féminine. Mai 2015. Charbon de bois sur granit poli. (Collection particulière)

Voilà donc l'allée du jardin transformée en oeuvre d'art... avec tout ce que cela implique ! En effet me voilà derechef détenteur d'une oeuvre unique que je me dois de préserver. C'est du moins l'avis de son auteur qui ne manque pas de manifester sa réprobation chaque fois que quelqu'un oublie que l'allée du jardin n'est plus une simple allée de jardin mais bien une partie du patrimoine artistique mondial. En ces temps de vandalisme organisé perpétré par des fanatiques de tout poil, mes vagues protestations ne pèsent guère face à la détermination d'une artiste quinze ans possédée de la fièvre créatrice ! Or, dès la création d'une oeuvre d'art, se pose la question de sa préservation et l'artiste dans sa précipitation à assouvir sa pulsion créative a négligé quelques détails. Tout d'abord, la technique employée : Le bout de charbon de bois trouvé sur le barbecue voisin est certes à la fois pratique et économique et confère à la composition une spontanéité indéniable, mais a une fâcheuse tendance à s'effacer très rapidement. On me rétorquera que de telles compositions retrouvées à Lascaux ou dans la grotte Chauvet ont traversé vingt millénaires. Certes mais les artistes du paléolithique ont pris soin de les appliquer sur les parois de grottes profondes et dont les entrées ont été le plus souvent obstruées. Les dessins au charbon de bois ont ainsi été mis à l'abri des intempéries et de toute intervention extérieure ce qui leur a permis parvenir jusqu'à nous dans un parfait état de conservation.

Dans le cas qui nous concerne l'artiste a choisi de produire son oeuvre en plein, sur un support qui se trouve être le point de passage de toute une famille vers son jardin et ce à l'aide d'une technique fort peu résistante aux agressions. L'oeuvre est ainsi exposée aux intempéries et à l'érosion due aux déplacements de la dite famille. Autant dire que sa pérennité est d'emblée fort compromise.

Me voilà donc confronté au dilemme suivant.

Soit je considère que ce dessin n'a pas plus de valeur artistique qu'un quelconque graffiti et décide de ne faire aucun effort pour le conserver. Je prends alors le risque, si ma fille devient un jour une artiste reconnue, de passer pour l'affreux père inculte qui piétinait sans état d'âme les prémices prometteurs de ce talent naissant. Je risque de laisser à la postérité le souvenir d'un bourreau d'enfants stupide et borné, imperméable à toute émotion esthétique, incapable de percevoir le talent de sa propre fille, qui elle développait une sensibilité artistique hors du commun malgré les brimades de son abruti de père. Bref, je cours le risque de passer pour un monstre à peine plus sensible qu'un dirigeant de Daech !

Soit j'estime que cette oeuvre doit être conservée. Et là, je m'expose à un autre type de danger. Conscient de la valeur de ce bien inestimable, je me dois de mettre en oeuvre assez de moyens pour être en mesure de le conserver. Ces moyens sont forts divers et ont pour seul point commun d'être tous forts onéreux. Le plus sûr serait la construction d'un édifice spécialement dédié à l'exposition de la merveille doté d'une climatisation spéciale maintenant une température et un taux d'humidité constants afin d'éviter toute agression extérieure mais aussi prévenir la prolifération de micro-organismes, levures et autre champignons, qui on l'a vu à Lascaux peuvent irrémédiablement détériorer ce type de patrimoine. L'annonce du prix de la seule maintenance de ce type d'équipement est capable de faire reculer de trois points la note chez Standard and Poors de n'importe quel état ! Inutile de vous dire que vu la conjoncture économique actuelle, il est illusoire d'espérer le moindre centime de subvention pour financer la préservation de ce joyau, ce que je peine à faire admettre à Charlotte. Dans l'idéal il faut bien évidemment prévoir la construction d'un fac-simile à proximité de l'original afin que le plus grand nombre puisse admirer cette merveille sans risquer détériorer l'original. Ce devrait être possible à moindre frais puisque contrairement à Lascaux ou à la Grotte Chauvet, nous avons la chance de pouvoir contacter l'artiste afin qu'elle reproduise son travail à l'identique !

L'application sur le dessin d'un vernis spécial uniquement fourni par des spécialistes agréés par l'architecte en chef des monuments historiques pourrait être une solution élégante mais elle implique une surveillance constante de la surface et les puristes objecteront qu'elle altère irrémédiablement la perception que nous pouvons avoir de l'oeuvre originale.

Dans tous les cas, je dois définitivement renoncer à faire usage de ce lieu en tant qu''allée de jardin. Dès que la moindre parcelle de votre logis acquiert le statut de "patrimoine artistique mondial", vous n'en êtes plus maître. Vous êtes condamné à supporter des hordes de touristes de toutes nationalités que d'interminables files de cars climatisés déversent par centaines sur votre petit domaine jadis si tranquille !

Tristes perspectives ! Je commence à regretter mon inconséquence. Pour avoir voulu encourager la créativité de mes enfants, je cours le risque de voir notre petit domaine transformé en enfer touristique.

Je lance donc un vibrant appel aux parents. Si vous voulez préserver la tranquillité de votre logis, n'offrez jamais à vos enfants de cours de dessin, ni de musique. Fuyez comme la peste les journées d'initiation au théâtre ! Evitez soigneusement les ateliers d'écriture, les stages photos et autres cours d'arts plastiques ! Refusez systématiquement les sorties scolaires ayant pour but la visite des musées ! Vous pourrez ainsi peut être éviter de faire de vos enfants des êtres créatifs ! Car la principale caractéristique des êtres créatifs, c'est de créer. Et quand ils ont commencé, ils ne s'arrêtent plus ! Vous risquez alors de crouler sous des monceaux de dessins, peintures et autres sculptures. Pire encore ils risquent de vouloir en faire leur métier ! Or si l'on en juge par la politique menée par tous les gouvernements successifs de puis vingt ans, les artistes ne sont que des parasites budgétivores qui menacent constamment l'équilibre financier de nos sociétés ! Votre logis risque de se retrouver avec le terrible qualificatif de "patrimoine artistique" avec les conséquences énumérées ci dessus ! Contentez vous donc d'abreuver vos enfants de "culture télévisuelle", de les abrutir de téléréalité, de jeux idiots et de séries américaines de seconde zone. Vous vous éviterez ainsi bien des tracas et pourrez les orienter vers de merveilleuses carrières financières ou commerciales ! Et si malgré tout cela ils continuent à manifester des velléités créatrices, soyez fermes ! Ne les laissez s'intéresser à l'art qu'une fois devenus milliardaires à l'instar de M Bernard Arnault : en effet l'art contemporain est parait-il un très bon placement !

Pour ma part, il semble que le mal est déjà fait ! Les cours de dessin et de musique ont semble-t-il inoculé le virus de la création artistique chez mes enfants, en particulier chez mes deux filles.

Charlotte Orang Outan Pastel (2014)

Charlotte Orang Outan Pastel (2014)

Etude d'écureuil, Capucine (2012)

Etude d'écureuil, Capucine (2012)

      Je suis donc condamné à admirer ces petites merveilles que, Laura Szabo leur professeur de dessin les a encouragées à produire. Cette dernière va même jusqu'à organiser des expositions, avec des vernissages au cours desquels elles jouent de la musique ! 

 

Vernissage de l'exposition le 8 mai dernier à L'OCEP, Coutances.

Vernissage de l'exposition le 8 mai dernier à L'OCEP, Coutances.

       Le dernière de ces expositions, organisée par "Les crayons agiles", section dessin de l'amicale laïque de Gavray, a lieu en ce moment même à l'OCEP à Coutances, a pour thème le Jazz et est visible jusqu'au 28 mai. Charlotte et Capucine y exposent chacune un dessin. Ferdinand quant à lui semble avoir contracté la passion du travail du bois et prend des cours de sculpture sur bois avec un artisan ! Tout concourt donc à précipiter ma perte ! 

Mon cas est donc désespéré ! La fièvre créatrice a frappé mes enfants et personne ne semble en mesure de les en détourner. C'est une terrible malédiction à laquelle je ne vois d'autre solution que de succomber à mon tour...

Rédigé par Philippe LEBOUCHER

Publié dans #Art

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